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Sextrémisme, le nouveau visage du féminisme

Depuis près de quinze ans, le mouvement Femen rebat les cartes du féminisme par un sextrémisme novateur et provoquant qui détonne sur la scène médiatique.

Action d’une militante Femen à l’occasion de la Saint-Valentin, 14 février 2023. @Femen_France.


De la foule compacte, s’élève un concert de voix puissantes qui hurlent un slogan sec, accusateur. “L’IVG, c’est sacré ! L’IVG, c’est sacré !” Un à un, passants et manifestants se tournent vers l’origine du boucan. Regard implacable, droit et fier, cinq femmes aux seins dressés, au buste dénudé et peint d’un slogan noir, agitent en rythme leur poing serré vers le ciel. Un instant, les spectateurs se figent, sidérés par cette intervention singulière. Émergeant de nulle part, des journalistes se pressent pour capturer l’événement par une photo ou une vidéo choc, persuadés de faire la une. Bientôt aux prises avec les forces de l’ordre, la horde féminine se débat et hurle toujours sa colère et sa détresse, les prunelles fixées sur les caméras.


Le corps de la femme, arme et symbole des Femen


Peut-être les avez-vous déjà croisées dans les médias, voilà quelques années de cela ou plus récemment, ces femmes aux allures d’Amazones, peuple de guerrières qui vivaient jadis près de la mer Noire, popularisées par la littérature antique et le cinéma moderne. Plus connues sous le mouvement Femen, ces femmes militent de manière radicale pour la liberté du sexe féminin et la mort du patriarcat.


En marge des autres collectifs, les militantes Femen renouvellent le féminisme à travers la pratique du sextrémisme, soit l’instrumentalisation du corps de la femme pour défendre leur doctrine. Devenu leur arme et leur symbole, ce sextrémisme illustre la volonté des militantes d’être perçues comme des “praticiennes et non théoriciennes”.


Dans le livre enquête Femen, histoire d’une trahison, le journaliste Olivier Goujon défend l’idée que ce récent mouvement, né en 2008 dans une Ukraine occidentale très marquée par le patriarcat, représente “la 4e vague du féminisme”. En 2018, il précise dans une interview de TV5 Monde que ces militantes “ont compris la façon d'agir, elles ont apporté quelque chose d'extrêmement neuf en utilisant parfois des méthodes ancestrales”. Olivier Goujon rappelle notamment qu’à l’aune des années 60, les membres du Mouvement de Libération des Femmes dévoilaient déjà leurs seins afin d’attirer l’attention sur leur combat. Dans une autre interview, Inna Shevchenko, fondatrice de la branche Femen en France en 2012, confirme cette idée : “Notre manière de manifester n'a rien de classique, c'est du nouveau féminisme."


Clivage chez les féministes


L'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.” dicte l’article 222-32 du Code pénal. De fait, combattre le sexisme et le patriarcat en tant que Femen implique d’une part d’attaquer l’ennemi physiquement et d’essuyer des coups, d’autre part de se voir intenter des procès, voire d’être condamnée avec sursis ou pour une durée ferme. Ce dévouement à la cause, la journaliste et traductrice Eloïse Bouton, comme bien d’autres militantes, en a payé le prix sur le plan juridique, mais aussi professionnel. A travers son livre témoignage Confession d’une ex-Femen, la première Française à avoir rejoint le mouvement partage d’abord son enthousiasme pour ce mode d’action moderne et novateur qu’est le sextrémisme. Après être passée par Ni putes ni soumises ou Osez le féminisme, elle a jugé cette nudité politique audacieuse et puissante. Eloïse Bouton dénonce toutefois un fonctionnement interne “désastreux, défaillant et nocif” qui limite l’efficacité du mouvement.


Dans les coulisses du féminisme, là aussi, le sextrémisme des Femen alimente les débats. En février 2013, une grappe de militantes se déshabillent dans la nef de Notre-Dame pour fêter le départ de Benoît XVI. Si cette mobilisation choc apparaîtrait légitime en Ukraine, où l’Etat et l’Eglise maintiennent le patriarcat par une main de fer, il n’en est pas de même pour la France qui présente une séparation claire entre les deux institutions. “S'en prendre à l'Eglise dans un pays laïc, ça n'a pas vraiment de sens” résume la journaliste Galia Ackerman en 2013 pour Le Monde. “En France, l'Eglise est certes conservatrice, mais n'impose rien à l'Etat. Elles n'ont pas encore beaucoup d'expérience et de réflexion sur les sociétés occidentales.


D’autres reprochent aux Femen leur rejet des hommes au sein du mouvement et dans la lutte plus largement, illustrant encore une fois leur lien avec les Amazones. D’après la légende, le peuple de guerrières éradiquaient les mâles à leur naissance et n’élevaient que les filles. Or, ce fonctionnement sectaire et matriarcal s’oppose à la doctrine du féminisme qui défend l’égalité, et non la victoire du sexe féminin sur son jumeau masculin.


Un nouveau souffle


Le 1er mai 2015, fête du travail en France, une triade de Femen interrompt le discours de Marine Le Pen, alors présidente du Front National. Les services de sécurité du parti d’extrême droite écartent violemment militantes et journalistes, des accrochages qui ne passent pas inaperçus dans le paysage médiatique. Par la suite, les Femen n’orchestrent aucune mobilisation majeure pendant près de sept ans, tant que le mouvement sombre presque dans l’oubli.


En 2022, dans le cadre de la course à la présidentielle, les Amazones féministes se faufilent temporairement sous le feu des projecteurs en interrompant tour à tour un meeting de Marine Le Pen et un débat télévisé dans lequel intervient Eric Zemmour, tous deux candidats de l’extrême droite. L’année 2023 marque leur grand retour en France. En janvier, cinq Femen, couverte du slogan “L’IVG, c’est sacré”, une culotte imbibée de peinture écarlate, infiltrent une manifestation contre l’avortement pour le défendre. Le 14 février, à l’occasion de la Saint-Valentin, les militantes se mobilisent à nouveau en posant fièrement sur le pont des Arts qui, même dépouillé de ses milliers de cadenas, reste un symbole du romantisme dans la capitale. “Je ne t’aime pas à en mourir” scande leur buste, en écho aux féminicides qui s’élèvent déjà à 19 en France depuis le début de l’année.

Cinq Femen sont interpellées après avoir perturbé une manifestation contre l’avortement, 23 janvier 2023. © Arnaud César Vilette, collectif DR.


Le média en ligne Brut aligne les reportages, courts et poignants, qui retracent les actions phares des Femen en ce début d’année, marquant un retour progressif du mouvement sur la scène médiatique française. Une visibilité déjà appuyée par le jugement en cours de sept Femen pour “exhibition sexuelle” et “violences” lors de manifestations de catholiques intégristes contre le mariage homosexuel à Paris en 2012.


Ce regain d’intérêt encore timide illustre la renaissance d’un mouvement tour à tour acclamé, controversé puis oublié. Un nouveau souffle qui sera peut-être l’occasion pour les Femen de recouvrir leur crédibilité et de remettre au goût du jour la question des inégalités entre les sexes en France.


Margot Darcy


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