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Soudan : la fin de l’ère Al Bachir ?

Le 11 avril 2019 au petit matin, Awad Ahmed Benawf – ministre de la défense soudanais – annonçait « la chute du régime et le placement en détention dans un lieu sûr de son chef ». La destitution du président soudanais d’Omar Al Bachir intervient après quatre mois de mobilisation populaire au Soudan et trente années de pouvoir autoritaire. Retour sur l’ère Al Bachir.


Un pays déchiré


Entre l’indépendance de la République du Soudan en 1956, alors condominium anglo-égyptien, et l’accession au pouvoir d’Omar Al Bachir, quatre coups d’État se succèdent. En plus d’un pouvoir instable, le Soudan connaît de nombreuses guerres civiles en raison du conflit qui oppose le nord au sud de l’État. Afin de pacifier les relations au sein du pays, l’accord d’Addis-Abeba met fin à un guerre civile de dix-sept ans et octroie au sud du pays un statut d’autonomie. En 1983, l’autonomie du sud est supprimée. C’est le début d’une guerre de rébellion menée par l’Armée populaire de libération du Soudan (SPLA). En 1989, un coup d’État porte Omar Al Bachir, militaire de carrière de 45 ans, au pouvoir. Autoproclamé président en 1993, puis réélu en 1996, il restaure la Charia dans le nord du pays.


En 2003, c’est le début de la guerre du Darfour. Le Mouvement de libération du Soudan (MLS) mène une rébellion dans la région du Darfour à l’ouest du Soudan. L’armée soudanaise, appuyée par des milices arabes pro-gouvernementales Janjanwids, commet des exactions et des massacres contre les populations civiles. La guerre du Darfour est alors présentée comme une lutte entre « Arabes et Africains » et « gouvernement contre rebelle ». Elle entraîne la mort de 300 000 personnes et le déplacement de 2 millions d’habitants. En 2009 et 2010 la Cour pénale internationale (CPI) lance un mandat d’arrêt contre Omar Al Bachir pour « crime de guerre », « crime contre l’humanité » et « génocide ». Il est néanmoins réélu président en 2010 (68,2%) au cours d’élections boycottées par l’opposition. Il le sera de nouveau en 2015 (94%).


Après des années d’opposition entre population du nord et du sud du Soudan, un référendum d’autodétermination a lieu, le 9 janvier 2011. La création du Soudan du Sud est plébiscitée par 98,83% des électeurs. Avec l’indépendance du Soudan du Sud, le Soudan est amputé des trois quarts de ses réserves de pétrole. Plusieurs accords de partage de la manne pétrolière entre les deux Soudans sont signés en 2012 et 2013. En parallèle le Soudan subit une inflation de près de 70% par an, la monnaie soudanaise perd alors toute sa valeur (1 livre soudanaise équivaut à 0,019€).

La chute d’Omar Al Bachir


A partir du 19 décembre 2018, l’importante dégradation des conditions de vie des soudanais, notamment la hausse du prix du pain (multiplié par trois) après une politique de rigueur, conduit à des manifestations. Elles commencent dans de nombreuses villes soudanaises avant de s’étendre à la capitale Khartoum. Ces mouvements sont violemment réprimés par l’armée et, de façon à faire face à ces contestations, Omar Al Bachir déclare l’État d’urgence le 22 février 2019. Le 6 avril, les contestations s’amplifient. Les manifestants s’installent devant le siège de l’armée et demandent son soutien. Trois jours plus tard, la police appelle ses forces à ne pas intervenir contre les manifestants.

Le 11 avril 2019, Omar Al Bachir est placé « en détention dans un lieu sûr ». Un « conseil militaire de transition » est mis en place. Ce conseil est d’abord présidé par Awad Ahmed Benawf mais jugé trop proche de l’ancien pouvoir en place, il est remplacé moins de vingt-quatre heures plus tard par Abdel Fattah Abdelrahman Bourhane. Ce dernier promet « d’éliminer les racines du régime d’Omar Al-Bachir ». Il assure qu’un gouvernement civil sera formé après consultation de l’opposition – sans en préciser l’échéance – et que la période de transition ne dépassera pas deux ans. Par ailleurs, la question du sort d’Omar Al Bachir se pose : si Amnesty International a demandé à ce que Bachir soit remis à la CPI, Omar Zinebilidine déclare que Bachir, actuellement en détention, ne sera pas livré. Par ailleurs, le Parti du congrès national (NCP) – parti du président déchu – réclame sa libération.


Une demande populaire de « gouvernement civil »


Si la population se réjouit de la chute de l’homme qui incarnait le régime soudanais depuis trente ans, la perspective de son remplacement par une junte indigne. Les premières mesures du « conseil militaire de transition » furent la mise en place d’un couvre-feu (22h-4h) – bien que levé le 13 avril 2019 – la fermeture des frontières et de l’espace aérien. Afin de protester contre ce nouveau pouvoir, des sit-in sont organisés par des manifestants depuis le 11 avril devant le siège de l’armée saoudienne. Alaa Salah, icône du mouvement de protestation, réclame ainsi un « conseil civil » et non militaire.

« Nous allons dialoguer avec toutes les entités politiques pour préparer le climat des échanges en vue de la réalisation de nos aspirations » déclare Omar Zinelibidine –chef d’État-major de l’armée et chef adjoint du Conseil militaire de transition – dans une allocution télévisée. Le « Conseil militaire de transition » au Soudan « ne gouvernera pas, il se contentera d’être le garant d’un gouvernement civil qui sera formé en collaboration avec les forces politiques et les parties prenantes » précise Yasir Abdelsalam au Conseil de sécurité des Nations Unies – l’ambassadeur soudanais à l’ONU. Il ajoute que « la suspension de la Constitution pourra être levée à tout moment. De plus, la période de transition pourra être réduite en fonction des développements sur le terrain et l’accord des parties prenantes. […] Nous ouvrirons un dialogue avec les partis politiques pour examiner comment gérer le Soudan. Il y aura un gouvernement civil et nous n’interviendrons pas dans sa composition ». En dépit de ces promesses, les manifestants ont réclamés la dissolution du « conseil militaire de transition » lundi 15 avril, affluant toujours plus nombreux devant le siège de l’armée à Khartoum.


Un accueil international mitigé


Dans l’optique d’apaiser les crispations liées au maintien d’un pouvoir militaire, même de transition, Abdel Fattah Abdelrahman Bourhane a annoncé la libération de toutes les personnes arrêtées lors des dernières semaines de contestations et s’engage à faire juger les responsables de la mort de plusieurs manifestants. Au même moment intervient la démission de Salah Gosh, directeur des services de renseignement soudanais (NISS). Les services de renseignement étaient responsables de l’organisation de la répression du mouvement de contestation ayant cours au Soudan depuis décembre.


Les réactions au niveau international ne se sont pas fait attendre. L’Union européenne et les États-Unis ont ainsi demandé que le pouvoir actuellement entre les mains des militaires soit transféré aux civils. De même, le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a estimé que la transition ne pouvait se faire que dans le respect des « aspirations démocratiques du peuple ». L’Union africaine critique la « prise de pouvoir par l’armée » estimant qu’elle « n’est pas la réponse appropriée aux défis » du pays.


L’Égypte, elle, se dit « confiante dans la capacité du peuple et de son armée » pour mener à bien cette transition. Le pays a connu une situation semblable en 2011 lorsque des militaires avaient mis fin au pouvoir d’Hosni Moubarak sous la pression de la rue, l’avait jugé de façon lapidaire, puis remplacé par le général Al Sissi, toujours en place. L’Arabie Saoudite a affirmé son « soutien au peuple soudanais frères », aux « mesures annoncées par le Conseil militaire de transition » et annoncé l’envoi d’une aide humanitaire dont « des produits pétroliers, du blé, et des médicaments ».


La question de l’après Bachir


Si Omar Al Bachir a été renversé, le régime qu’il incarnait depuis près de trente ans, lui, est toujours en place. Marc Lavergne (CNRS) estime que « l’armée garde la main. Elle s’est débarrassée d’une branche morte en poussant à la destitution Omar Al Bachir ». La population est ainsi en attente d’un pouvoir civil. Cette situation ne verra le jour que si l’armée soudanaise, pour l’instant à la tête du pays, l’accepte. Pour cela elle doit accorder une réelle place à l’opposition. De plus « on ne peut dès lors pas exclure une épreuve de force violente entre des secteurs de l’opposition et certaines forces au sein de l’appareil d’État, comme les milices populaires liées au parti présidentiel et toujours loyales à Al Bachir. L’armée va devoir choisir son camp entre ces deux pôles. A moins d’un processus de transition inclusif, il y a un risque de violences à court terme. Le groupe qui a pris le pouvoir n’a de toute façon pas les moyens de relever seul un pays à terre sur le plan économique. » selon Roland Marchal (CNRS).


Qu’il s’agisse du Soudan ou de l’Algérie, les révoltes qui y ont actuellement lieu sont qualifiées par la presse de nouvelle vague de révoltes arabes en référence au « printemps arabe » de 2011. En effet qu’il s’agisse du Soudan, de l’Algérie, de l’Égypte, ou du Zimbabwe, ces pays, caractérisés par une superstructure constituée par le poids et le rôle de l’armée dans la société, ont connu des mouvements de protestation populaires ayant abouti à la destitution des dirigeants en place. Pour autant, ces changements de dirigeants ne sont pas synonymes d’un changement de nature du régime en place. L’aboutissement de ces mouvements populaires à un régime non dictatorial est bien incertain. Aussi, le parallèle avec le « printemps arabe » de 2011 serait bien précipité : les destitutions sont aujourd’hui accueillies avec scepticisme, et la crainte de continuité d’un régime autoritaire prend le pas sur le climat euphorique qui accompagnait alors la chute des dirigeants.


Anja Jeanmougin Boucard

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