Lorsque les dénonciations d’une série ne sont pas prises au sérieux et reprises dans la réalité. Focus sur les conséquences de la série mondiale Squid Game. (Crédit photo : NETFLIX/YOUNGKYU PARK)
Dans les préparations pour fêter Halloween, vous avez certainement vu passer un costume tout nouveau : une combinaison rouge avec un masque d’escrime noir. Le but principal de cette fête est de faire peur et c’est pourquoi ce déguisement va être repris en masse cette année. Elle est tirée de la série Squid Game sortie à la mi-septembre et devenue un véritable succès mondial avec 142 millions de foyers l’ayant regardée. Elle met en scène des personnes endettées qui se voient proposer de participer à un jeu
pour gagner de l’argent. Quelques centaines acceptent et se retrouvent enfermées au même endroit poursuivant un même but : ne pas être éliminé. La seule chose qui n’avait pas été précisée lors de leur engagement est le fait qu’élimination soit synonyme
d’exécution. Ils comprennent rapidement qu’il ne peut y avoir qu’un seul gagnant qui sortira du jeu millionnaire. La série devient une parfaite illustration de l’expression de Thomas Hobbes : « l’homme est un loup pour l’homme ». Les joueurs deviennent alors
des prédateurs les uns pour les autres, ils ne peuvent pas vivre ensemble parce que leur supposée bestialité et leur soif de domination prend le dessus mais aussi parce qu’une forme de médiation n’est que très peu présente.
La dénonciation des dérives du capitalisme
Tout le jeu repose sur la concurrence poussée au plus haut point. Les joueurs participent à des jeux enfantins modifiés afin de tuer ceux qui perdent. La personne qui survit jusqu’au dernier jeu gagne assez d’argent pour rembourser ses dettes et bien plus
encore. Le dernier espoir qui reste aux joueurs pour avoir une infime chance de gagner de l’argent est de tuer. Cette dualité est révélatrice de la réalité dans laquelle nous vivons : un monde où il faut être riche ou mourir. La série dénonce le fait que la seule façon d’être intégré à la société serait par la richesse, peu importe de quelle manière elle est obtenue.
L’horreur de la série provient principalement de l’ambiance enfantine, les décors colorés, les jeux auxquels jouent les enfants coréens, les musiques associée à une tuerie de masse.
D’autre part, ce jeu est financé par des « VIP », des personnes extrêmement riches. Tellement fortunées que l’une des dernières choses qui les distraient est la compétition entre des personnes désespérées sur qui ils misent. Ces personnages regardent les jeux de très loin à travers un cadre rectangulaire, comme un écran. Les joueurs sont vus comme des pantins déshumanisés dont la fonction principale est de tuer leurs adversaires. Pour les VIP, il s’agit d’un véritable jeu alors que de réelles personnes n’en sortent pas. La distinction entre la fiction et la réalité ne semble pas bien marquée par ces personnages mais également par les spectateurs de Squid Game.
Des scènes reproduites par un public mal informé
Cette dénonciation des dérives du capitalisme ne semble pas bien saisie par certains spectateurs. En effet, le but est de choquer le spectateur, de le faire réagir en s’appuyant sur des problématiques concrètes. Comme il a été possible de constater à de nombreuses reprises, le message de la série n’est pas assez bien passé.
Pour un des jeux, le joueur doit extraire la forme dessinée dans du caramel avant un temps imparti. Dans le cas contraire, il est exécuté. Ce jeu a été repris au moment des recrutements de certaines associations étudiantes comme critère de sélection ou pour « créer du lien ». Les jeux sont repris sans prendre en compte les dénonciations de la société formulées dans la série : la plus grande partie de la richesse mondiale détenue par une poignée de personnes tandis que le reste est prêt à mourir, à tuer, à violenter et à se détruire pour pouvoir subvenir aux besoins de ses proches. Peut-être que ces personnes qui reprennent ces jeux sont totalement conscientes de toutes ces aspects mais dans ce cas, il serait temps de revoir sur quelle base nous construisons nos
relations sociales.
Seong Gi-Hun, le personnage principal lors du jeu du caramel – Netflix
La célébrité de cette série se fait évidemment par le
bouche-à-oreille et je ne peux m’opposer à ce principe
aux vues de la qualité de la série. En revanche, lorsque
des scènes de la série inspirent des enfants dans des
écoles élémentaires, je me permets d’exprimer quelques réserves sur le fait de parler d’une série à tout le monde sous prétexte que c’est un phénomène mondial. Dans des cours de récréation, des enfants jouent à « un, deux, trois, soleil » comme dans le premier épisode de Squid Game ; et quand un enfant bouge, on assiste à des scènes de violence inédite rappelant celles de la série.
La responsabilité des parents est ici engagée quant à ce que regardent leurs enfants qui en discutent ensuite avec leurs copains et font de la publicité à cette série interdite aux moins de 16 ans en France. Ces actes de violence participent à la banalisation de la violence comme le définissait Hannah Arendt. Selon cette politologue et philosophe, le mal peut être fait partout et par tout le monde ; même des enfants peuvent intégrer la violence comme normale parce qu’il est compliqué de faire la différence entre ce
qui est acceptable, possible ou non dans la vraie vie sans un accompagnement.
Ainsi, cette série peut être très enrichissante et peut permettre d’entreprendre une réflexion individuelle ou collective. Il faut tout de même que son audience soit avertie et consciente des aspects négatifs dénoncés afin de ne pas en faire une réalité.
Margot Zuliani
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