« C’est le peuple de la liberté qui a marché dans toute la France pour dire au gouvernement qu’il ne veut pas de sa loi “sécurité globale”, qu’il refuse la surveillance généralisée et les drones », déclare la coordination StopLoiSécuritéGlobale en novembre 2020¹. Si les technologies de surveillance ne cessent de proliférer depuis l’instauration du tout premier système de vidéosurveillance dans la commune de Levallois-Perret, en 1993, le premier mandat d’Emmanuel Macron marque un tournant majeur, incarné par l’adoption en mai 2021 de la très controversée loi « sécurité globale ». La multiplication des manifestations déchaînées ainsi que les confinements liés à la Covid-19 donnent en effet le prétexte parfait pour renforcer le développement de ces nouveaux outils, au nom de la sécurité publique. Une frange de la population se méfie pourtant de ce progrès technique, craignant une utilisation abusive, voire détournée, qui impacterait nos droits et libertés fondamentales.
La sombre palette des technologies de surveillance
Pionnières dans le domaine, les caméras de surveillance se fondent aujourd’hui dans l’espace public. Visibles sur les routes et trottoirs, dans les transports en commun, elles passent pourtant inaperçues. D’après un classement réalisé par La Gazette des communes, entre la fin 2013 et le début 2020, leur nombre aurait doublé dans les 50 villes les plus peuplées de France, avoisinant les 11 500. Depuis deux ans, ce chiffre ne cesse d’augmenter, sans qu’on ne sache leur effectif exact à ce jour. A l’échelle internationale, la France se place au rang du 9e pays possédant le plus de caméras.
Dans certaines grandes villes, se développent aussi des logiciels d’intelligence artificielle qui, couplés aux caméras déjà installées, permettent de se focaliser sur certains éléments, comme des couleurs ou des silhouettes, et de condenser des heures de vidéos en quelques secondes, renforçant considérablement leur efficacité.
C’est en 2018, dans le cadre de l’expulsion de la zone à défendre de Notre-Dame-Des-Landes, que les drones de la police nationale et de la gendarmerie sillonnent le ciel français pour la toute première fois. Leur usage se répand cependant lors de la pandémie de coronavirus, avec pour objectif de s’assurer du respect du confinement. Pendant cette période, rares sont ceux qui les aperçoivent, et pourtant, ils sont bien présents, ils survolent des grandes rues, des littoraux, mais aussi des quartiers populaires. Entre le 17 mars et le 10 mai 2020, une dizaine de villes ont ainsi été scrutées, et ce, dans la plus complète illégalité, car aucune loi n’encadrait encore ce type de surveillance très intrusive.
En janvier 2022, après un passage par le Conseil constitutionnel, la loi « Responsabilité pénale et sécurité intérieure » est adoptée, validant l’utilisation des drones de surveillance par la police - mais pas pour la police municipale, qui ne peut donc en disposer qu’avec l’aval du préfet. Souci, la liste des situations dans lesquelles les drones de surveillance pourront être utilisés reste encore très large.
En termes de reconnaissance faciale, les expériences se succèdent depuis quelques années. En février 2019, le carnaval de Nice permet de tester ce nouvel outil de surveillance dans l’espace public pour la première fois. Plusieurs caméras, placées de manière stratégique, doivent identifier 50 volontaires ; pour la ville, l’opération est un succès, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) est cependant plus réservée.
Pour l’heure, la reconnaissance faciale en temps réel est toujours interdite en France. Et pourtant, les forces de l’ordre l’utiliseraient près de 1 600 fois par jour selon La Quadrature du Net. En effet, un logiciel leur permet de confronter des images de vidéosurveillance ou de réseaux sociaux avec celles que contient le fichier Traitement d’antécédents judiciaires (TAJ), regroupant près de 8 millions de photographies de Français.
De la mise en péril de la liberté de manifester à la collecte abusive de données personnelles
Si certains se réjouissent de la prolifération des dispositifs de surveillance, garants de leur sécurité, d’autres s’inquiètent, notamment les activistes. « La possibilité de l’anonymat dans la ville est en train de s’évanouir » s’inquiète la CNIL. Lorsqu’ils sont détournés de leur usage premier, les drones offrent la possibilité aux forces de l’ordre de surveiller les militants dans des lieux leur étant hors d’accès, tandis que la reconnaissance faciale leur permet de les identifier. Ces nouvelles technologies ont par exemple permis l’arrestation de militants syndicaux du domaine de la santé après une action non violente le 14 juillet 2020.
Le risque majeur ? Dissuader une part de la population de participer aux manifestations. Or, dans une démocratie telle que la France, où les citoyens n’ont en réalité que peu de pouvoir quant aux décisions politiques prises à l’échelle nationale, les manifestations de grande ampleur apparaissent comme un moyen fondamental d’exprimer une opposition politique. Retirer au peuple cette liberté de manifester serait un retour en arrière non négligeable.
En parallèle, le développement des safe cities - villes dotées d’un amalgame conséquent de technologies autonomes assurant la sécurité des habitants - implique la potentielle omnisurveillance des citoyens et la collecte de leurs données personnelles par des start-up qui expérimentent leurs outils et logiciels sous le regard lointain des municipalités. Qu’advient-il de ces données, une fois amassées par ces entreprises privées ? Gardées au chaud ou vendues au plus offrant ? Nul ne le sait.
Les défenseurs des libertés contre le gouvernement, ou David contre Goliath
Depuis plusieurs années maintenant, La Quadrature du Net, association de défense et de promotion des droits et des libertés sur Internet, multiplie les recours devant le Conseil constitutionnel afin de contrer l’instauration durable des nouvelles technologies de surveillance, notamment les drones et la reconnaissance faciale, au sein de l’espace public français. L’association accumule quelques victoires, pour autant, le combat demeure inégal face au gouvernement d’Emmanuel Macron, qui semble déterminé à renforcer la surveillance, de même que les pouvoirs des forces de l’ordre.
En 2019, La Quadrature du Net lance le projet « Technopolice », qui dresse l’inventaire des nouveaux dispositifs technologiques employés par la police en ville. Au terme de ce projet, trois ans plus tard, en mai 2022, le discours est alarmiste : « Aujourd’hui, la surveillance de nos rues est devenue totale, car ces technologies se renforcent les unes les autres » ; « Pour mettre un coup d’arrêt à cette surveillance totale, nous lançons une plainte collective contre le ministère de l’intérieur qui l’organise illégalement. » L’association a donc lancé une campagne de recueil de signatures en ligne dans l’optique de déposer une plainte collective devant la CNIL. Parmi les revendications, figure un usage plus régulé des technologies de surveillance ainsi que la suppression des huit millions de photographies que contient le fichier TAJ. Cette nouvelle action inversera-t-elle la tendance ? Quoi qu’il en soit, le temps presse, car en 2024, le gouvernement veut profiter des Jeux Olympiques de Paris pour expérimenter un programme inédit de reconnaissance faciale. En cas de succès, ce nouvel outil pourrait définitivement s’immiscer dans l’espace public, enrayant ainsi toute tentative d’anonymat²...
Margot Darcy
¹« Loi ’’sécurité globale’’ : 133 000 manifestants, selon le ministère de l’intérieur ; 500 000, selon les organisateurs », Agnes Dherbeys, Le Monde, 28/11/2020.
²Pour approfondir, lire le rapport sur lequel s’appuit cet article : « En France, la surveillance rogne les libertés publiques », par Clément Pouré et Clément Le Foll, en collaboration avec la European Network of Corporate Observatories, la Shoal Collective, l’Observatoire des Multinationales et la Observatory of Human Rights and Business in the Mediterranean region (Novact and Suds).
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