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[TRIBUNE] Collectivité européenne d’Alsace : chassez le naturel, il revient au galop !


Des Alsaciens manifestant le 7 décembre 2014 à Mulhouse contre le projet du Gouvernement d’intégrer l’Alsace à une nouvelle grande région incluant la Lorraine et la Champagne-Ardenne. Crédit image : afp.com/Sebastien Bozon.

Malgré les protestations des élus et habitants, la région alsacienne avait été incorporée de force en 2015 dans la nouvelle grande région baptisée Grand Est, au nom de la « rationalisation » de la carte territoriale française et de l’efficacité administrative voulues par le Gouvernement socialiste. En 2019, elle a presque fait sécession, retrouvant sa singularité dans le pays sous le nom de Collectivité européenne d’Alsace (CeA) grâce à une intense campagne de lobbying auprès de l’État. Ce n’est pas une région, mais qu’on ne s’y trompe pas : l’Alsace est officiellement de retour depuis le 1er janvier 2021.

Le Premier ministre Jean Castex lui-même l’a avoué lors d’un déplacement à Colmar le 23 janvier pour officialiser la création de la Collectivité européenne d’Alsace : l’énarque mais également élu de terrain qu’il est n’a « jamais été convaincu par la création d’immenses régions dont certaines ne répondent à aucune légitimité historique ». Cette réforme, l’une des réalisations majeures de François Hollande, était pourtant vantée à son époque comme gage d’économies budgétaires et de plus grande compétitivité des régions françaises au niveau européen, surtout face aux Länder allemands effectivement plus étendus géographiquement. Après des années d’injustice historique et de militantisme local, l’État a donc reconnu à nouveau la spécificité alsacienne.

Une rationalisation administrative à l’épreuve de la réalité du terrain

Prenant la suite de la présidence Sarkozy, François Hollande affirmait hériter en mai 2012 d’un pays à la situation financière déplorable justifiant des coupes budgétaires drastiques et une hausse massive d’impôts. La « rationalisation » des dépenses publiques était alors la pierre angulaire de tous les projets gouvernementaux, sous le fameux sigle de « Modernisation de l’action publique » ou MAP (prenant la suite de la « Révision générale des politiques publiques » ou RGPP de... Nicolas Sarkozy). La loi MAPTAM de 2014 a forcé la création des premières métropoles, intercommunalités poussées à l’extrême et récupérant comme jamais auparavant des compétences de leurs communes membres. La loi NOTRe de 2015 a contraint les petites intercommunalités à se rassembler afin de réduire leur nombre et « rationaliser » la carte territoriale. La loi de 2015 sur la fusion des régions au sein d’entités supposées atteindre une taille critique s’inscrivait alors dans la droite ligne de ces politiques pas vraiment typiques de gauche.

Las ! Depuis lors il est apparu que les dépenses des nouvelles régions, désormais réduites au nombre de 13 en métropole, ont... augmenté. L’explication de ce résultat inverse à celui attendu : la « rationalisation » sur le papier ne fait pas long feu face aux réalités du terrain et de l’Histoire. Les régions fusionnées ont bien souvent gardé leurs infrastructures propres afin d’apaiser ces regroupements forcés, décidés d’en haut par une loi et par un président de la République ayant lui-même crayonné les nouvelles délimitations sur une carte géante dans son bureau de l’Élysée (anecdote que vous trouverez dans le livre Les leçons du pouvoir de François Hollande). Au lieu de supprimer les hémicycles des anciens conseils régionaux pour ne garder qu’un seul bâtiment par région, ils ont été bien souvent conservés et les élus naviguent alors de ville en ville. Les frais de transport des élus régionaux ont également augmenté (songez à l’élu de Champagne-Ardenne devant désormais prendre le train jusqu’à Strasbourg, chef-lieu du Grand Est, soit traverser toute la région aller-retour pour siéger une seule journée...). Mais au-delà des questions financières, les enjeux historiques et culturels n’ont cessé d’exister bien après les fusions des régions. Votre serviteur natif de Lorraine et amoureux de l’Alsace se remémore les conflits ayant éclaté lors du projet de création de ce qui était alors la région « Alsace-Lorraine-Champagne-Ardenne » (ou « ALCA », si jamais quelqu’un devait trouver cela plus digeste). Comment ? Les Alsaciens, à la culture affirmée, riches de leur terroir et même riches tout court, devraient être réunis avec les Lorrains et leurs friches industrielles, leurs mines de charbon et de fer endormies à jamais ? Mais enfin aucun souci, puisqu’on vous dit que c’est de la pure rationalité ! Cette même rationalité qui, après un référendum local auquel votre serviteur a participé, a vu la nouvelle grande région hériter d’un nom à la rationalité elle aussi parfaite : le nouveau territoire est grand et il est situé à l’est de la France métropolitaine, baptisons-le... Grand Est ! Mais ne nous plaignons pas, rappelons-nous ces pauvres Hauts de France qui sont le territoire géographiquement le plus proche du niveau de la mer... Arrachant les limites administratives des limites historiques, une appellation générique sortie du chapeau et vierge de toute identité a succédé à des siècles d’aventures locales.

Après des années de procès, l’Alsace obtient finalement gain de cause devant le tribunal de l’Histoire

Désormais, la nouvelle Collectivité européenne d’Alsace ravira ses habitants les plus engagés et énervera un peu plus les tenants d’un État jacobin centralisateur et uniformisant. Cette collectivité n’est pas une région, et l’Alsace reste bien dans le Grand Est. Cependant des compétences bien particulières ont été accordées à cette nouvelle entité administrative reprenant les limites géographiques de l’ancienne région. D’abord les compétences départementales (car pour recréer un simili de région, les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ont dû fusionner à leur tour, ironique n’est-ce pas ?), lesquelles sont transférées à la « CeA » – on a déjà fait plus sexy comme diminutif mais soit. Ce qui frappe cependant est l’octroi par l’État de compétences correspondant au passé, au présent et à l’avenir de l’Alsace : la promotion du bilinguisme français-allemand (alors qu’effectivement l’allemand est bien moins parlé en Champagne-Ardenne... du fait de l’Histoire, là encore) et la coopération transfrontalière avec la Suisse et l’Allemagne, laquelle prend toute sa place dans ce nom de Collectivité européenne d’Alsace. Le Premier ministre a par ailleurs déjà ouvert la porte à de possibles futurs élargissements de compétences dans un cadre expérimental pour une collectivité « cousue main ».

Alors certes, l’institution de cette collectivité pas comme les autres morcelle encore un peu plus l’unité territoriale de la République – souvenons-nous des collectivités à statut particulier existantes comme la Corse, la Martinique, la Guyane, Mayotte ou encore la Métropole de Lyon (qui n’est d’ailleurs pas une métropole juridiquement parlant...), lesquelles n’entrent dans aucune catégorie générique des collectivités territoriales. De surcroît, le projet de loi 3D devenu 4D pour «Décentralisation, différenciation, déconcentration et décomplexification » (chapeau bas pour le quatrième D, ce terme est ironique à lui tout seul) entend faciliter à l’avenir la création de collectivités à statut particulier au nom de la différenciation, de la prise en compte du terrain, ce qui complexifiera encore plus la compréhension de qui fait quoi dans notre magnifique mille- feuilles institutionnel. Mais que c’est bon de revoir l’Alsace après cet effort de 2015 ayant voulu renier notre Histoire au nom d’une prétendue efficacité !

Pierre Pelini


Crédit photo de couverture: afp.com/Sebastien Bozon

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