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Une journée derrière les barreaux

Dernière mise à jour : 8 nov. 2023

J’ai eu l’occasion de me rendre dans une maison d’arrêt en Allemagne avec un groupe d’avocats. Nous y avons rencontré un groupe d’hommes placés en détention provisoire, et qui attendent donc leur procès.


La discussion s’engage très rapidement, sur un ton léger et avec une étonnante solidarité entre eux. Ils forment pourtant un groupe hétéroclite et leurs différends sont très vite reconnaissables. Mais ils se mettent d’accord sur une chose : la première semaine en prison est la plus dure. L’incertitude qui entoure la détention provisoire est rude pour les nerfs. Combien de temps vais-je rester là? Quand aurais-je la date de mon procès? Les mêmes questions reviennent alors qu’ils se présentent à nous. Pour certains il reste l’espoir de ne plus jamais remettre les pieds ici. D’autres se résignent, car ils connaissent déjà l’issue de leur procès. « Rien ne sert de se faire des illusions, j’ai fait une connerie, plusieurs même, maintenant j’assume. Je l’ai cherché, je finis ma peine, et qui sait si dans quelques années je ne reviendrais pas encore », nous dit un jeune détenu de vingt-deux ans. Pour lui, c’est son huitième procès. Il est en détention provisoire depuis plus quatre mois, pour des violences commises sous emprise de stupéfiants. Il attend toujours la date de son procès. A quatorze ans, nous dévoile-t-il, il avait déjà un avocat. Sachant qu’à partir de cet âge-là, un adolescent allemand peut déjà se retrouver dans un établissement pénitentiaire pour mineurs…


Un détenu russe prend alors la parole. Il n’est là que depuis quelques jours. C’est loin d’être son premier séjour en prison, mais il nous explique que les premiers jours il est toujours malade. C’est pour lui une sorte d’habitude, de rituel, pour s’adapter à son lieu d’incarcération. Il ne compte plus le nombre de fois qu’il a fini en prison. Un autre homme, un peu plus âgé, nous raconte à son tour son expérience. Ses manières très élégantes et sa façon de s’exprimer, très érudite, sont frappantes. Il détonne par rapport aux autres personnes présentes. Nous ne savons pas de quoi il est accusé, mais c’est apparemment son premier séjour dans une maison d’arrêt. « Il faut pleinement se rendre compte de ce qui nous arrive. Dites-vous que d’un seul coup, on se retrouve dans une minuscule cellule, privé de tout, privé du pouvoir décider nous-même de notre journée. Ton travail, ta famille, tes amis, tout ça c’est fini. Et quand enfin on s’en rend compte, c’est dur de ne pas sombrer. »


« Plus jamais », martèle sans arrêt l’un des détenus autour de la table. Même sans connaitre son histoire, il nous donne l’impression de ne pas être à sa place ici. Son voisin est d’avis qu’il est « un homme trop bon » pour être enfermé avec eux. Quoi qu’il en soit, il nous raconte que lorsqu’il aura purgé sa peine, il fera tout pour ne se consacrer qu’à sa famille et à son travail. Son chef lui a promis qu’il le ré-engagerait. Il a laissé ses proches dans un état précaire, et regrette de ne pas être là pour eux. Cependant, alors qu’il répète inlassablement qu’il ne remettra plus les pieds en prison, des rires fusent autour de la table. « On voudrait bien te croire, mais regarde nous! C’est au moins notre deuxième passage ici. » Le ton est léger, pourtant cela sonne comme une sentence. La réalité sera probablement tout autre.


Pendant la discussion, la famille est un sujet qui revient souvent. Les expériences sont très différentes, et les douleurs sont visibles. Ce jeune de vingt-deux ans nous explique que sa mère lui a interdit d’écrire à son petit frère âgé de dix ans. Il ne veut pas attendre des années avant de le connaitre, il veut le voir grandir et rêve de devenir un modèle pour lui. Et pour cela, son avocat lui a demandé d’accepter de suivre une cure de désintoxication et de faire une thérapie. Le juge sera plus enclin à diminuer sa peine de prison, voire à choisir une autre sanction. « Il me l’avait déjà proposé la dernière fois que je me suis retrouvé ici, mais j’étais persuadé que ça ne servirait à rien. Je n’avais pas de plan à l’époque. Maintenant que je fais cette thérapie, c’est certain que je vais sortir de là après mon procès. Je ne le fais pas juste pour éviter la prison à nouveau, mais pour ma famille. J’ai aussi envie de créer une entreprise. J’ai un vrai plan pour l’avenir, et ça, ça change tout. On a plus la même perspective du temps qu’on passe enfermé ici. »


Six mois après la mise en détention provisoire, la cour d’appel vérifie que la détention provisoire soit toujours justifiée. Si ce n’est pas le cas, le détenu est remis en liberté. Malgré tout, la plupart des hommes que j’ai rencontré sont là depuis presque un an. Les dates des procès se font attendre, même très longtemps pour certains. Pour l’un, la juge qui traitait son affaire est tombée gravement malade. Il a fallu trouver un autre magistrat et choisir une autre date pour sa première audience. Ce sont des mois d’attente supplémentaire.


La détention provisoire n’en demeure pas moins une mesure de contrainte qui peut toucher des personnes innocentes. Combien d’histoires ai-je entendu ce jour-là où des hommes ont passé, à tort, plusieurs semaines en maison d’arrêt? Même si elle est censée rester exceptionnelle, les chiffres parlent d’eux même. Ils représentent presque 30% de la population carcérale en France. Ils sont environ 14 000 en Allemagne. Et le tout dans des conditions de vie inhumaines. Dans cette maison d’arrêt, les détenus ont le droit à deux douches par semaine, et à deux heures de temps libre par semaine, dans une petite salle commune, avec en tout et pour tout des chaises et des cendriers. C’est probablement mieux qu’à Fleury-Mérogis, mais ça ne laisse pas indifférent.

Sixtine Clément de Givry

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