Ces derniers mois, des femmes ex-militaires ont brisé l’omerta autour des violences sexuelles au sein de l’armée. Elles racontent les agressions sexuelles qu’elles ont subies et la gestion de leurs affaires par leurs hiérarchies. Est ainsi mis en évidence le caractère dérisoire des peines judiciaires pour leurs agresseurs.
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En février 2014, déjà, les journalistes Leila Minano et Julia Pascual publient une enquête menée pendant deux ans au sein de l’Armée française concernant les violences sexuelles subies par les femmes. En réponse, le ministère des Armées crée la cellule Thémis. Cette cellule ne suffit pas pour autant à transformer « la Grande Muette ».
Les violences sexuelles face à « la Grande Muette »
L’appellation « la Grande Muette » désignait l’armée française durant la IIIe République car les militaires n’avaient pas le droit de vote. Aujourd’hui, cette appellation est toujours utilisée pour pointer du doigt l’omerta au sein de l’armée. Si toutes les formes de critique de l’institution ne sont pas proscrites, elles s’avèrent plutôt rares.
Cette prise de parole compliquée se constate lorsque des femmes militaires décident de dénoncer les agressions sexuelles qu’elles ont subies au sein de l’armée. Le sujet des violences sexuelles est un sujet de société dont l’armée n’est pas exclue. Cependant, la particularité est qu’au sein de cette institution, la victime se voit obligée de quitter l’armée pendant que son agresseur est protégé et parfois même promu.
Une réalité dépeinte par deux ex-militaires : Manon Dubois et Ninon Mathey.
Manon est cuisinière dans la Marine lorsqu’un technicien adopte rapidement un comportement déplacé : mains baladeuses, paroles obscènes, jusqu’à l’enfermer dans la cuisine pour l’agresser sexuellement. Elle porte plainte et son agresseur reçoit une peine de dix jours de mise à pied au sein de la Marine Nationale. Après avoir subi une soixantaine d’agressions sexuelles pendant des mois, Manon quitte finalement les rangs de l’armée.
Ninon Mathey raconte une histoire similaire. Alors qu’elle est artilleuse au sein de l’armée, elle explique avoir été agressée sexuellement par son supérieur, un brigadier. Elle découvre que trois autres militaires auraient elles aussi subi des violences sexuelles de la part du même homme. Quatre plaintes sont déposées à la gendarmerie. Du côté de l’armée, Ninon et ses camarades sont entendues. Le brigadier écope d'une sanction disciplinaire, mais il reste en poste et sera même promu adjudant deux mois plus tard. De son côté, Ninon est d’abord mise en arrêt maladie, avant d’être jugée inapte pour reprendre son poste dans l’armée. Contacté par « Envoyé spécial », le ministère des Armées a indiqué que la sanction infligée au brigadier mis en cause était en cours de réexamen.
La jeune femme, qui était major de promo, écrit une lettre à son colonel où elle lui exprime sa colère : « J'ai fait le choix de mettre toutes mes compétences au service de la population, au nom des valeurs fondamentales de la France, et si nécessaire au péril de ma vie. Je n'ai pas signé pour être la victime des déviances de mes supérieurs ou de mes collègues, je n'ai pas non plus signé pour être témoin d'un déni général en ce qui concerne le bien-être de vos soldats."
Armée : un droit d’exception ?
Pour les affaires qui concernent le milieu militaire, la loi exige que le procureur demande un avis à l’armée. Dans le cas de l’affaire de Manon, l’institution militaire semble justifier le comportement du soldat qui a reconnu sa culpabilité. Selon l’armée, « l’inconduite » du soldat pourrait « s’interpréter plus piteuse que vicieuse », « sa personnalité inhibée et complexée » expliquerait qu’il ait « agi vis-à-vis de la victime par mauvaise passion amoureuse plus que par perversion sexuelle ». L’armée pense donc qu’il « gagnerait probablement en assurance et en estime de soi en pouvant poursuivre sa carrière militaire ».
L’avocat de la plaignante déplore ces propos : « Parce que cette personne a été militaire en exercice, puisqu’il fallait absolument qu’il ait un casier judiciaire avec un bulletin numéro 2 vierge, on a appliqué ce type d’orientation procédurale ».
Dans une tribune, le sénateur Grégory Blanc émet l’idée que « l’absence de diversité au plus haut niveau des commandements » a des conséquences sur la gestion des affaires d’agressions sexuelles. En effet, selon le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire, « les femmes représentent 20 % des officiers jusqu’au grade de commandant. Puis cette proportion s’écroule à 10 % pour les colonels et les généraux ». Il explique également que « le code militaire doit être réformé », car « une jeune victime contractuelle mise en arrêt de travail à la suite d’une agression perd tout revenu au bout de quelques mois, ses droits étant proportionnels à son ancienneté ».
Aujourd’hui, la procédure judiciaire de l’armée paraît être favorable aux agresseurs, qui, bien que reconnus coupables, demeurent sous les drapeaux, alors que les victimes sont écartées des rangs.
Agathe Bénit
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