À moins d’une semaine du début du Salon International de l’Agriculture, l’exécutif redoute le retour des contestations agricoles et paysannes. Malgré les multiples réunions organisées entre préfets et représentants syndicaux, la fumée ne semble pas s’être complètement éteinte. Mais au fait, que réclament précisément ces derniers ?
L’an passé, lors des manifestations contre la réforme des retraites, le grand public pouvait aisément identifier les protagonistes de ce conflit social de grande ampleur : l’intersyndicale, avec à sa tête les deux plus grands syndicats français la CGT et la CFDT, tentaient ardemment de négocier avec le gouvernement. Mais dans le secteur primaire, la représentation est différente et, en ce début d’année, les Français ont pu découvrir les acteurs de la représentation du monde agricole et paysan.
(A noter que dans cet article, les termes paysan(s) et agriculteur(s) seront employés distinctement.)
FNSEA, “principal interlocuteur du gouvernement Attal”
Lors des récentes contestations, quatre syndicats semblent avoir tiré leur épingle du jeu, aux revendications plus diverses que par rapport aux syndicats du secondaire et du tertiaire.
En premier lieu, la FNSEA (Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles). Fondée en 1946, composée de 212 000 adhérents et présidée par Arnaud Rousseau, elle représente l’organisation majoritaire de la chambre d’agriculture. Principal interlocuteur du gouvernement Attal, le syndicat formule les propositions suivantes : l’abrogation de l’annulation progressive de la ristourne fiscale sur le Gazole Non Routier (GNR), principal carburant utilisé par la profession ; la stricte application des trois lois EGAlim qui visent à encadrer la rémunération des agriculteurs et réglementer les négociations avec les distributeurs ; un moratoire sur les pesticides, à l’instar du président départemental de l’Ille-et-Vilaine qui a déclaré en octobre 2023 qu’il n’y avait pas « d’alternatives crédibles » au glyphosate. Enfin, d’inspiration europhile et libérale, l’organisation se montre attachée aux aides fiscales européennes.
La coordination rurale, un concurrent devenu adversaire
Se revendiquant « 100 % agriculteur », la Coordination rurale est le second syndicat représenté au sein de la chambre d’agriculture. Fondée en 1991 en scission de la FNSEA, composée de 15.000 adhérents, elle est souvent étiquetée comme une organisation de droite « populiste » et « poujadiste », notamment par ses modes d’actions. En effet, le syndicat n’hésite pas à utiliser plus de rapports de force que la FNSEA. Des proximités lui sont également prêtées avec le Rassemblement National, des liens régulièrement démentis par l’organisation agricole.
Présidée depuis 2022 par Véronique Le Floc’h, le syndicat formule les propositions suivantes : le relèvement des prix « agricoles », ainsi que la relance du système économique rural. L’organisation souhaite également la suppression des aides compensatoires. Son inspiration générale est davantage interventionniste et souverainiste.
La gauche, une force politique sous-évaluée dans le monde agricole
Traditionnellement accolée en tant que profession de droite, des organisations de gauche sont également présentes au sein de la chambre agricole. En premier lieu, la Confédération paysanne, fondée en 1987 et disposant de plus de 1000 adhérents. La célèbre figure de la politique française José Bové est issue de ce mouvement, allant même jusqu’à revendiquer son investiture « syndicale » lors de l’élection présidentielle de 2007. Son organisation est différente par rapport aux deux premiers : il n’y a pas de président, mais un poste de secrétaire général, tenu par Véronique Marchesseau désignée en 2023, et les sections départementales disposent de plus d’autonomie.
Utilisant également la méthode des blocages routiers, la Confédération paysanne dispose d’une lecture des événements différente et formule des propositions qui dénotent. En témoigne par exemple la volonté de ne pas réduire les normes environnementales, ou de proposer des convergences avec le mouvement radical des Soulèvements de la Terre. Selon la porte-parole du syndicat Laurence Marandola : « La priorité des priorités, c’est la rémunération ».
Un autre syndicat, fondé en 1959, dispose de représentants au sein de la chambre agricole : le MODEF (Mouvement de Défense des exploitants Familiaux). Proclamant l’arrêt du « pillage du travail paysan », l’organisation ne cache pas sa proximité avec le Parti Communiste Français, et formule une violente critique du capitalisme libéral. Son président Pierre Thomas, réclame dans cette lignée la fin de l’« agrobusiness » et l’instauration d’un « prix plancher rémunérateur ». Enfin, il impute à la FNSEA d’avoir accepté la fin de la ristourne sur le GNR, ce que regrette aujourd’hui la première force syndicale.
En résumé, contrairement aux imaginaires reçus, le monde agricole et paysan dispose d’un large pluralisme au sein de leurs différents syndicats, aux revendications très diverses, ce qui justifie à ce titre, l’inexistence (actuelle) d’une intersyndicale. À l'horizon se trouvent les prochaines élections des Chambres d’agriculture qui se tiendront en 2025, et chaque organisation souhaite tirer son épingle du jeu et peser dans les négociations avec les préfets et l’exécutif. Mais la bataille de la visibilité médiatique n’est pas à sous-estimer, et le prochain Salon International de l’Agriculture pourra peut-être devenir un “champ” de bataille des coups d’éclats, au grand dam du gouvernement.
Josselin Lucké-Baron
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