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Île de la Réunion : la « Route la plus chère du monde » inaugure dans une ambiance morose.

Jeudi 28 août dernier, l’Île de la Réunion était censée retenir son souffle quelques heures. L’inauguration de la « Nouvelle Route du Littoral » (NRL), attendue comme l’événement de l’année dans l’archipel des Mascareignes, n’a en réalité pas fait le bruit escompté. Ce tronçon de 12,5 kilomètres, situé 30 mètres au dessus de l’océan Indien et longeant le nord-ouest de l’île, était l’une des clés pour faciliter le train de vie des Réunionnais. Pourtant, dès les premiers instants du chantier, le triomphe attendu par les constructeurs et les autorités a vite laissé place aux critiques et aux interrogations de la population. Retour sur les raisons et l’historique de ce fiasco.


Ambiance confettis rangés et champagne au frais pour l'inauguration de la NRL. (Bastien Doudaine / Hans Lucas)

Un projet légitime


Depuis plusieurs décennies, le transport routier est source de débats et d’interrogations sur l’île. La spécificité géographique du lieu fait que les principaux axes routiers encerclent le littoral. Malheureusement, les infrastructures routières ont du mal à s’adapter à la constante croissance démographique du département ultramarin. Alors, près des centres urbains de l’île, on retrouve souvent les mêmes problèmes. Un trafic qui ne réussit pas à désengorger (350 000 véhicules par jour), donc des bouchons monstres aux heures de pointe, mais aussi des accidents de la route.

Pourtant, un autre aspect est rentré en compte dans la création de ce projet de la « Nouvelle Route du Littoral ». Près de Saint-Denis, les automobilistes qui se rendaient dans la capitale ou au contraire descendaient vers le sud, roulaient sur une portion extrêmement dangereuse. Depuis 1976, 21 personnes ont perdu la vie sur la route du littoral à cause de l’écoulement de pierres ou de la chute de pans de falaises sur la route. Malgré l’installation de filets de sécurité pour tenter de réduire l’impact de ces évènements, la route était souvent bloquée par les autorités pour dégager ces dégâts naturels et rendre praticable l’axe.


Premières controverses


Didier Robert, l’ancien président de région, et son équipe, décident en 2010 de lancer ce projet d’une route en deux portions : un viaduc et une digue, longeant l’ancienne route du littoral. Il faudra attendre fin 2013 pour que l’ensemble des démarches administratives et réglementaires prennent fin (déclaration d’utilité publique, autorisation d’occuper le domaine public maritime…). Bouygues et Vinci, les deux principaux géants français du bâtiment et du transport routier s’associent (avec un autre groupement : GTOI / SBTPC) et remportent l’attribution des marchés publics pour la construction de la route. Budget initial prévu : 1.6 milliard d’euros. Une somme déjà faramineuse qui fait de cette route l’une des plus chères du monde avant même le début de sa construction (un kilomètre équivaut ici à 138 millions d’euros, contre 6.2 millions pour une route classique).

En 2015, deux ans après le début du chantier, Mediapart publie une enquête mettant en cause les conditions d’attribution des marchés publics. Le journal indépendant pointe du doigt des soupçons de corruption d’élus, d’atteinte à l’environnement et de montages financiers. Dans le même temps, le parquet national financier (PNF) ouvre une enquête pour « corruption et favoritisme ». Pendant plusieurs années, des perquisitions et des auditions s’enchaînent chez les élus en charge du dossier à l’époque. Des tentatives d’intimidation et des menaces de mort auront même lieu. Le député Thierry Robert (Modem) en fait les frais. En envoyant un dossier au PNF, composé « d’éléments constitutifs d’un conflit d’intérêts », il se retrouve forcément dans le viseur des accusés. Le mercredi 21 juin 2017, il retrouve tagué sur le portail de sa maison, la phrase suivante : « Avec ce que tu as dit cet après-midi sur la NRL, tu es mort ».

Mise en application difficile


Le chantier, programmé pour prendre fin en 2020, rencontrera finalement un grand nombre de problèmes retardant sa finalisation. Dès la première pierre, une opposition citoyenne se crée face à la volonté des constructeurs de créer une carrière à Bois-Blanc. Cette carrière a pour but d’alimenter en roches la construction de la deuxième portion de la NRL (la digue). Trop proche des habitations, trop destructrice de l’environnement selon les locaux, l’idée de la carrière sera finalement abandonnée par les pouvoirs publics. Au niveau des matériaux, les constructeurs ont donc dû trouver certaines alternatives. Ils décident d’importer 227.000 tonnes de roches de Madagascar par mois, puis se confrontent à l’arrêt du fonctionnement de la carrière dans l’île voisine. Un coup dur qui provoquera l’interruption du chantier durant plusieurs mois par manque de matériaux. Mais surtout des dépenses supplémentaires considérables prises en charge par l’État.

De nombreuses contestations sociales sont aussi apparues du côté des travailleurs. Début juin 2016, les ouvriers du chantier se mettent en grève pour réclamer une prime à la hauteur de leur engagement et de leur prise de risque niveau sécurité. En 2019, ce sont les transporteurs qui se font entendre en regrettant la lenteur du chantier. Ils mettent en porte-à-faux les militants écologistes, qu’ils accusent de « freiner le développement des entreprises ».

La grandeur du projet implique une immense diversité d’acteurs. Forcément, satisfaire les intérêts de tous est une mission compliquée, voire impossible. En février 2022, Huguette Bello, (présidente de la région Réunion depuis juillet 2021) décide après avoir consulté les différentes parties et l’État français, de faire passer le chantier au « tout viaduc ». C’en est fini de la digue, vecteur d’un trop grand nombre de soucis économiques, écologiques et sociaux.

Quelques mois avant l’inauguration du 28 août 2022, Huguette Bello confirmait les retards liés à la NRL : « la route complète ne sera pas livrée avant 2028-2030 ». En effet, ce premier tronçon empruntable ne parcourt que 8.7 kilomètres, de Saint-Denis vers la Grande Chaloupe. Une déclaration aux allures de fiasco assumé, d’autant plus que cet aveu s’accompagne d’un nouveau calcul du budget de la NRL, estimant les dépassements financiers à plus de 840 millions d’euros et financés à 50 % par l’État français, donc par le contribuable réunionnais.

Tant d’aspects qui ont fait pencher la balance vers le négatif. Et même la grandiloquence du viaduc, surplombant l’océan et faisant face aux falaises, ne parvient pas à rééquilibrer cette balance. Un chauffeur de taxi, habitué des navettes entre Saint-Denis et Saint-Paul déplorait qu’« au volant, on ne voit même pas l’océan, seulement les glissières de sécurité ». Si même la magie a du mal à fonctionner…


Thomas Dagnas

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